Rivages
Quand j’ai commencé à éplucher la rentrée littéraire de l’automne 2015, le titre de ce premier roman de Jérémy Fel, sa couverture, ce qu’on en disait ici ou là, sa construction, ont allumé quelques diodes d’envie et de curiosité dans mon système limbique, l’auteur nous invitant, à travers plusieurs « nouvelles » sans liens apparents, à nous plonger dans l’univers psychopathique et ultra violent d’un enfant, Daryl, dont la première histoire met très bien en lumière son petit « potentiel » nuisible qui ne demande qu’à s’épanouir. Ce qu’il fera.
Suivent une grosse dizaine de situations et autant de personnages, à diverses époques et dans trois pays. Tous ces gens, aussi éloignés soient-ils, ont tous un lien avec ce cher Daryl, qui a bien grandit.
Si vous le voulez bien, une fois n’est pas coutume, lisons un peu ce qu’en disent les journaux.
Commençons par la crème : Télérama. (Je vous vois réagir d’ici, ha ha.)
Qu’en dit-on ? « L’ombre de Joyce Carol Oates, celle aussi de Laura Kasischke planent sur Les Loups à leurs portes. » Ah oui quand même. Quoi d’autre ? « Passionné d’images autant que de littérature, [Jérémy Fel] s’inspire de Charles Laughton (La Nuit du chasseur) ou de David Lynch (Twin Peaks) ». Hou là ! Ils ont aimé à Télérama. Enfin, non, au vu des références, ils ont carrément allumé un cierge (bon, oui, fallait que je la fasse, celle-là.)
Je passe rapidement sur les Inrocks – qui ne se distingue de Télérama que par son hors-série annuel sur le porno et « ses cierges de cire d’abeille plus onéreux mais bien meilleurs » ; hum – et Nelly Kaprièlian nous balance à nouveau les noms iconiques de Stephen King et David Lynch. Elle s’est pas foulée, c’était déjà écrit sur la quatrième de couverture.
Quittons la presse situationniste, pour un titre dont la girouette s’oriente plus à tribord : l’Express. « Les loups sont entrés dans nos vies. Et un nouveau romancier de talent a surgi dans le paysage littéraire. » Raah. Unanimité ! Voilà un objet culturel qui dépasse les clivages politiques ! L’essence même du beau et de l’hyper modernité.
Mais le lecteur me direz-vous ? Celui qui n’a pas son rond de serviette à France Inter ? Celui qui tient quotidiennement son blog ? Le peuple a-t-il suivi le phare du Stiff qui nous éclaire dans la nuit agitée du Fromveur ? Lisons Léa : « Les Loups à leur porte fait penser à Le Diable, tout le temps (Donald Ray Pollock) » – moi, là, je commence à me faire pipi dessus – « [Jérémy Fel] a su écrire comme les grands romanciers américains, il a su même y introduire une structure innovante, complexe (à la française ?) : c’est juste magistral ! On voit ici toutes les références aux grands auteurs du genre : Ellroy, Stephen King & co ! »
Résumons : Joyce Carol Oates, Laura Kasischke, David Lynch, James Ellroy, Charles Laughton, Stephen King, Donald Ray Pollock. Il y en a qui ont pris plus cher, vous admettrez.
Je me bornerai donc juste à dire que ce roman, malgré les promesses citées plus haut, malgré deux premiers chapitres encore intéressants, est d’une platitude ahurissante – plaine betteravière amiénoise – tant par le style, les artifices (vingt-cinq fois le coup de rêve, ouf…) que l’imaginaire (et c’est là que ma déception est la plus grande). La violence qui a dérangé pas mal de lecteurs est hyper convenue et les cinquante dernières pages (c’est long, cinquante pages), c’est « Plus belle la vie » : s’ensuivent des lignes et des lignes où quelques personnages qui s’en sont sortis vont pouvoir se reconstruire par l’amour, la famille et le rock’n’roll. Les vieux, les jeunes, les lecteurs des Inrocks, leurs parents qui lisent L’Express, les blogueurs, personne n’y verra d’inconvénient.
Daryl, au secours.
J’ai dû louper un truc. Ça m’arrive. Lisez-le et éclairez ma lanterne.
Christophe
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