Monsieur Toussaint Louverture
Ouah.
Les mille pages de ce roman se déroulent de manière quasi exclusive dans un internat russe pour enfants handicapés physiques. Partez pas.
Dans cette « maison », donc, ces enfants sont regroupés en différents clans (« Les oiseaux », « Les rats », « Les faisans » ou encore le fameux « Groupe 4 »). Lors de son intégration, chacun quitte son identité pour recevoir un surnom, qui pourra évoluer avec le temps. L’Aveugle, Sphinx, Chacal Tabaqui, Fumeur, Lord, Roux et tous les autres, remplissent cette maison en y injectant leur regard de folie, leurs stratégies, leurs amours, leur violence et leurs peurs. Leur vivre ensemble semble se construire de manière autonome, sans l’aide des éducateurs et des adultes que l’on peine à croiser ni même à imaginer dans les parages.
Si l’institution a pour but de les rendre à la société civile, les enfants se protègent de manière presque instinctive ou animale de ce monde extérieur. Comme pour une quarantaine à durée indéterminée, le lecteur qui entre dans ce livre est séquestré par ces fantômes, la porte d’entrée cadenassée et les volets scellés. Et c’est là que la magie opère, un peu comme dans « La maison des feuilles » de Mark Z. Danielewski où Navidson se rend compte que sa baraque est… plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur ! Ici, symboliquement, c’est le même boulot : ou comment entre ces quatre murs, se déploie un roman-univers, aux frontières sans cesse repoussées. Une allégorie, que dis-je, un manifeste, une propagande à l’imaginaire. Mariam Petrosyan nous noyant sous l’humanité jouissive de ces gosses, semble nous rappeler combien notre curiosité se rabougrit, se ratatine de plus en plus, alors que nous sommes bien-portants et au soleil. Cette honte suprême.
Plus de dix ans d’écriture ont été nécessaires à Mariam Petrosyan. Au final : une véritable leçon, une tarte dans la tronche, un roman incomparable et inépuisable.
Christophe
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