Avec : Haluk Bilginer, Melsa Sozen, Demet Akbag
C’est la fin de l’automne en Anatolie. Aydin, acteur retraité et propriétaire d’un Hôtel, gagne, avec son homme à tout faire, une de ses locations pour réclamer un loyer trop longtemps impayé. Au cours du trajet, une vitre de son véhicule est caillassée par le jeune fils du locataire.
La fulgurance et la violence de cette scène introduisent parfaitement ce qu’est cette œuvre, souvent proche du théâtre, faite de dialogues conflictuels, colonne vertébrale ultra littéraire (et gonflée) passionnante de subtilité. Et à travers ces étalements de non-dits, de malentendus, et au final de peu d’écoute, c’est le portrait en creux d’Aydin, représentant d’une certaine masculinité égoïste, héritier non assumé par son côté libéral d’un patriarcat multiséculaire, au milieu de ses femmes, à savoir sa jeune épouse, la belle Nihal qui trompe son ennui en bonnes œuvres de dame patronnesse souvent pathétiques, et sa sœur Necla qui vit avec eux, fuyant un autre homme. Si cette féminité d’une société turque qui se libère de ses carcans, tresse de toutes parts une sorte de toile d’araignée dialectique autour du « maître » Aydin, il faut reconnaître que Nihal et Necla ne sont cependant pas campées en parfaites et belles personnes. Et c’est bien le tribunal de l’être humain que dresse Nuri Bilge Ceylan, chacun pouvant se révéler être le bourreau de l’autre, même parfois très discrètement, dans quelques scènes distillées çà et là. Et il y en a forcément qui perdent plus que les autres (le père chez les locataires, formidable présence de l’acteur Nejat İşler ; ou encore la vieille servante de l’hôtel, à peine entrevue, dont le silence et l’obéissance disent bien des choses).
Quelques scènes sont inoubliables, dont la fameuse demi-heure d’explications au coin du feu où Aydin plonge au plus profond de l’ignominie, ou encore quand Nihal rejoint la famille des locataires et prendra en pleine poire sa propre maladresse – le terme est faible.
Une longueur (3h16 !) utile à cette fausse « hibernation », où sous la glace, la majesté et l’étendue de l’Anatolie, dans ces maisons troglodytes hallucinantes, couvent la mesquinerie, la domination, l’incompréhension et la rancœur.
Christophe